2013: l'Afrique noire, noire au-delà de toute vision raciste, hypocritement appelée sub-saharienne aussi, bref cette Afrique rayonne musicalement, des artistes variés sortent encore des disques superbes qui rendent enfin hommage aux voix, instruments, langues et ambiances africaines. Pas nécessaire de faire un catalogue des Toumani Diabaté, Cheik Tidiane Seck, Ballaké Sissoko, Orchestra Baobab et tant d'autres.
Des merveilles vous dis-je, depuis ces voix aériennes reconnaissables entre mille, ces instruments qui jouent avec l'air (comme la kora) à ces rythmes à la fois vifs et alanguis. Le tout sans hésiter à créer avec "l'occident", artistes et instruments compris (guitare par exemple avec les Frères Guissé).
Et puis bon, 2013 c'est aussi la cassure brutale: implantation des groupes islamistes au Sahel, avec le rejet de la musique (surtout profane) inhérent à cette idéologie. L'effet est aussi brutal qu'hélas durable: la musique africaine est engloutie par ce trou noir intellectuel. Presque plus rien ne sort désormais, surtout directement du continent. Une catastrophe artistique et humaine.
Alors voilà qu'enfin en 2021 le Malien
Ballaké Sissoko réussit à produire un disque, "
Djourou".
Son instrument fétiche: la kora, dont les superbes pincements de cordes défient la pesanteur et le misérabilisme, voire la condescendance trop souvent affectée à tout ce qui concerne l'Afrique, dès les morceaux d'ouverture ("
Demba kunda" ou "
Djourou", avec Sona Jobarteh, la nouvelle génération de joueuses de kora).
Ballaké n'est pas seul sur ce disque; il prolonge ce qu'il a toujours fait, en l'occurrence la collaboration avec d'autres artistes. On trouvera la flûte et le violoncelle de son complice de longue date Vincent Segal: "
Jeu sur la symphonie fantastique", qui prouve que la musique africaine n'a rien à envier à la supposée plus noble musique classique.
Pour les voix, on retrouve les belles envolées de Salif Keita ("
Guelen"), la douceur de Camille ("
Kora"), d'Oxmo Puccino ("
Frotter les mains"... mais pas trop convaincu par les paroles), de l'Anglo-Français Piers Faccini ("
Kadidja") pour finir avec Feu! Chatterton ("
Un vêtement pour la lune", surprenant de poésie, à la façon des dialogues du beau film "L'enfant lion").
Un disque d'une beauté méditative très émouvante, qui nous fait nous envoler bien au-dessus des tristes étroitesses d'esprit, plus près du soleil et de l'humanité. Les mains mêlées noire/brune de la pochette est évidemment une évocation de l'état d'esprit de Ballaké Sissoko, artiste du partage et du rapprochement des cultures et des Hommes, en toutes égalités ("...des gens bien" comme il le fait chanter à Oxmo Puccino).
On oserait presque croire que cet album marque le début d'un renouveau, mais le fait-même qu'il soit co-réalisé avec des artistes français en dit aussi long sur l'état de l'art du côté du Mali, même si cela n'enlève absolument rien à la qualité de "Djourou". A la fois une victoire et l'aveu d'une défaite.
Pour celles ou ceux qui veulent aussi découvrir visuellement la kora sur Youtube, avec le morceau-titre "
Djourou": 8wWPC8edho8
Ecoute intégrale:
https://ballake.bandcamp.com/