Drôle de période décidément: le nombre de sorties s'est effondré durant la période de confinement, sans s'être vraiment rétabli depuis. Comme si le talent s'était confiné lui aussi, sans les effets dynamiques du partage. Le nombre d'albums intéressant a mathématiquement fondu.
Et encore, comme ce qui est "intéressant" relève de la plus pure subjectivité, d'aucuns pourront voir la situation pire ou meilleure que cela...
Parmi les sorties récentes, juste avant le black-out, une voix qui annonçait l'oxygène de l'été au grand air, avec des ressemblances avec les vocaux "Funk Wav Bounces" de Calvin Harris d'il y a 3 ans, et pour cause: l'Ecossais avait recruté quelques chanteuses aux caractères et aux cordes vocales typées, dont justement
Jessie Reyez.
La canadienne, qui paraît beaucoup plus tenir de ses origines colombiennes pour le caractère démonstratif, sort donc son premier vrai album, "
Before Love Came To Kill Us". Un disque qui marie de manière très latine l'amour et la mort, l'amour à mort, la mort de l'amour, bref le plus vieil affrontement du monde, dans lequel les gifles vocales répondent volontiers aux claquements de cœur, dans le plus pur esprit de la Carmen de Mérimée/Bizet.
La très brune Jessie utilise sa voix, de la douceur la plus ensorcelante à la gouaille la plus impertinente, comme sur "
Coffin". On entend qu'elle a beaucoup appris en travaillant avec Calvin Harris: cette façon de piquer de façon très aérienne et de marquer les rythmes ("
Do you love her", "
Ankles", "
Roof"), ou cette capacité à chanter de manière fluide sur des plages plus ensoleillées ("
Intruders").
Alors bien sûr on pourra ne pas trop goûter cette forte influence R'n'B ("
Imported" entre autres), mais il faudra tout de même lui reconnaître une excellente maîtrise vocale, avec des évidentes inclusions soul.
Comme la senorita Reyez ne renie en rien ses racines latino-américaines, elle sait aussi très bien manier la langue et l'esprit volcanique de cette partie de l'Amérique: "
Memoria". Un petit bout de femme un poil teigneux, qui me rappelle Jennifer Jones dans "Duel au soleil" de King Vidor (
c'est un compliment).
Du coup les titres qui surprennent le plus sont ceux où s'exprime une finesse et un soyeux intimiste: "
Same side", "
Kill us", "
Love in the dark", "
I do" ou le décidément très beau "
Figures" final. Autant de morceaux qui donnent l'impression de voir naître une étoile prometteuse si elle dirige sa carrière dans les bonnes directions.
Bref un album qui nous fait respirer à pleines oreilles les promesses de l'été.
Ecoute intégrale (
un conseil, ne pas s'arrêter au deuxième morceau, "Deaf", en-dessous des autres à mon avis) ici:
https://jessiereyez.bandcamp.com/releases
On peut écouter les remarquables prestations "official live performance" sur Youtube où elle est carrément époustouflante dans sa façon de chanter et de faire vivre ses œuvres, avec un accompagnement dépouillé avec bonheur, comme ici sur "
Do you love her": I9JoyDKyU2A
Le genre de performances qui vaudraient un album pour elles seules et qui laisse entrevoir toutes les possibilités de cette artiste décidément attachante.